Yang Shu - snake brain mask
TMproject a l’honneur de présenter la première exposition personnelle en Europe du peintre chinois Yang Shu (Chongqing, 1965-), avec un ensemble de ses toiles les plus récentes.
« Dans la vaste gamme des artistes contemporains chinois, Yang Shu apparaît comme une exception. Alors que la plupart d’entre eux proposent une peinture aux motifs élaborés aisément identifiables, Yang Shu opère dans une abstraction de signes dessinés, proche du Graffiti Art, et, dans ses travaux récents, d’allusions picturales saisissantes au corps et au désir érotique. La majorité de ses tableaux révèle un processus très vif d’associations imaginatives, où il laisse souvent vierges des parties de toile brute, comme il est courant dans le dessin ou encore sur les murs, lorsque les graffeurs doivent quitter brusquement leurs lieux de travail improvisés et interdits.
Depuis une centaine d’années, l’art chinois se préoccupait des modes de représentation dits réalistes, originaires d’Occident, où ils étaient principalement un héritage de l’art officiel bourgeois du XIXe siècle. L’art avant-gardiste ne circulait qu’au sein de petits groupes et n’était ni compris ni accepté dans le cercle de l’art officiel. Le style Mao Pop Art avec son illusionnisme publicitaire politique n’a été questionné en Chine qu’au cours des années 1980, lorsque des artistes, enseignants dans les académies, ont été autorisé à importer des ouvrages sur l’art moderne occidental jusqu’à lors totalement méconnu sur place. Bien entendu, ces livres n’étaient pas destinés aux étudiants, mais réservés aux professeurs qui devaient en filtrer les informations sur cet art moderne dérangeant, avec sa licence érotique, son abstraction, sa provocation, son agressivité, avec son formalisme, son expressionnisme, son surréalisme, en bref : avec tout son bouillonnement chaotique souvent difficile à comprendre. Les programmes des écoles d’art chinoises étaient toujours basés sur un enseignement académique minutieux, mais nombre d’étudiants intelligents et talentueux se frayèrent un chemin vers ces catalogues de reproductions d’art moderne et contemporain. Ceci entraîna un profond changement dans la jeune scène artistique chinoise qui émergea lors de l’exposition nationale de 1989 à Pékin avec une vague d’installations et de performances. L’exposition fut fermée au lendemain du vernissage, après qu’une jeune artiste eut tiré à coups de fusil sur sa propre installation.
À Chongqing, prenant ses distances avec les événements de la capitale, Yang Shu, âgé de 23 ans, fraîchement diplômé de l’Ecole des Beaux-Arts du Sichuan, développait son style de peinture bien particulier, contribuant également à l’évolution de la scène contemporaine chinoise…
Ces dernières années, Yang Shu a encore franchi une étape supplémentaire dans l’évolution de son style de peinture.
Premièrement, on observe une nouvelle approche de la couleur. Les toiles récentes dépassent la variation autour d’une seule teinte dominante, le rose violet évocateur de promesses érotiques. On trouve toujours cette couleur et son lien avec le corps dans presque toutes ses toiles ; néanmoins, chaque tableau a maintenant sa couleur et sa lumière propres. Et ces tonalités individuelles ne véhiculent plus un sentiment de mélancolie, mais jouent plutôt sur une échelle plus extravertie, plus séduisante, parfois amusante ou étrange, parfois presque criarde ou tapageuse mais toujours sexy.
Deuxièmement, cette capacité est renforcée par le nouveau jeu croisé de zones brossées à l’acrylique et d’épaisses lignes énergiques tracées à l’oil stick, souvent dans de lumineuses couleurs néon, ainsi que de zones de toile brute ou préparée. L’opposition précédente entre les à-plats et la pâte a laissé place à une continuité fluide de la touche, une interaction entre surface et profondeur. Une énergie nouvelle se dégage de la tension entre les zones peintes, esquissées où laissées en blanc. Par l’interaction des formes, même les larges parties noires ou blanches participent à la couleur et contribuent à la structure. C’est une dynamique nouvelle et qui coure sur la toile avec une tension dramatique ou un flux lyrique qui produisent dans chaque tableau un incident unique et toujours surprenant.
Troisièmement, tous les motifs, fragments de corps ou corps entiers, ne sont plus isolés, ils construisent des transitions entre eux. Ainsi, ils n’interrompent plus le geste mais le constitue jusqu’au point ou abstraction et figuration se fondent dans la partition picturale.
Quatrièmement, dimensions et formes des tableaux ont évolué. On trouve de grands formats horizontaux et d’immenses formats verticaux, rappelant les traditionnels rouleaux de soie chinois. La complexité de chaque toile dépend d’un nouveau rapport à sa taille.
Enfin, les nouvelles pièces sont une infinie chanson d’amour. Chanson, dans la mesure où le vocabulaire abstrait de ces tableaux, avec ses formes et couleurs, élabore un langage libéré du sens, comme la musique peut être libre de toute rationalisation. D’amour, dans la mesure où, par delà les allusions à l’objet du désir, il transpose une énergie érotique dans la pratique même de l’art pictural. » Ursula Panhans-Bühler (critique d’art et professeur à la Kunsthochschule Kassel)
Extrait de Yang Shu, Unknown pleasures, catalogue, Z-art Center, Shanghai, 2008.